Les idées principales qui s'en détachent au niveau d'étude de l'oeuvre sont les suivantes:
- Problèmes d’identité dans une société soumise aux règles religieuses. Critique de la société musulmane traditionnelle
- Le poids de la culture : La condition de la femme (et même de l’homme) dans le monde musulman.
- La « haine » ou la « honte » sociale : La culpabilité de ne pas pouvoir être qui on veut, sous les critiques des autres.
La misogynie, un point très sensible dans la société arabo-musulmane, est traité dans ce roman où le Coran est aussi très présent. Écrit en 1985, Tahar Ben Jelloun nous présente un Maroc où le patriarcat, entendu comme une forme de vie en société qui donne l’essentiel du pouvoir aux pères, est encore très habituel. En somme, une véritable immersion dans l’atmosphère du pays d’origine de l’auteur.
Les grands thèmes.
Þ La recherche de soi : Ahmed, a qui l'on a tracé le destin en usurpant sa propre identité et en falsifiant son sexe, est en quête de vérité. Il est perdu entre un physique de femme et une éducation d'homme avec ce que cela implique dans la tradition musulmane. "Pris en main par le père, il a dû passer des épreuves difficiles. Moment trouble où le corps est perplexe ; en proie au doute, il hésite et marche en tâtonnant." [page 41]. "Je pense que c'est le moment où Ahmed prend conscience de ce qui lui arrive et qu'il traverse une crise profonde. Je l'imagine tiraillé entre l'évolution de son corps et la volonté de son père d'en faire absolument un homme ...".[page 42]. "N'est-ce pas le temps du mensonge, de la mystification ? Suis-je un être ou une image, un corps ou une autorité, une pierre dans un jardin fané ou un arbre rigide ? Dis-moi, qui suis-je ?" [page 50].
Þ La solitude : à la recherche de lui-même, ou d'eux-mêmes lui et elle, Ahmed s'enferme dans une chambre et se coupe du monde, s'isole au point de ne plus communiquer avec sa famille et plonge dans une profonde solitude pensant que c'est la seule issue pour procéder à la recherche de lui-même, mais aussi pour ne pas laisser ressortir sa différence face aux autres. Bien que cette solitude ne soit que passagère elle n'en demeure pas moins très profonde. "Il faut bien que de ma solitude vous soyez plus que le confident, le témoin. Elle est mon choix et mon territoire. J'y habite comme une blessure qui loge dans le corps et rejette toute cicatrisation. Je dis que je l'habite mais à bien réfléchir c'est la solitude, avec ses effrois, ses silences pesants et ses vides envahissants, qui m'a élu territoire, comme demeure paisible où le bonheur a le goût de mort." [page 88] "Je pense à l'apprentissage du silence qui se retire de temps à autre pour faire place à l'écho de mes pensées secrètes qui me surprennent par leur étrangeté."[page 95]
Þ L'exclusion et la soumission des femmes (leur place dans la société musulmane) : L'histoire démarre avec cette exclusion de la femme car Ahmed aurait pu vivre épanouie si hommes et femmes étaient sur pied d'égalité et que le fait de ne donner naissance qu'à des filles n'était pas une honte. Or ce n'est pas le cas ici, et l'on ressent tout au long du livre l'infériorité de la femme qui n'est qu'un corps qui doit obéir, seulement procréatrice se pliant à la volonté de l'homme et ne vivant pas une vie mais n'étant qu'un "pion". "Le père n'avait pas de chance ; il était persuadé qu'une malédiction lointaine et lourde pesait sur sa vie : sur sept naissances, il eut sept filles. [...] Sept, c'était trop, c'était même tragique." [page 17] "Elle était prête à tous les sacrifices et nourrissait des espoirs fous à chaque grossesse." [page 19] "Tu es une femme de bien, épouse soumise, obéissante, mais, au bout de ta septième fille j'ai compris que tu portes en toi une infirmité. Ton ventre ne peut concevoir d'enfant mâle." [page 21] "Etre femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s'accommode. Etre homme est une illusion et une violence que tout justifie et privilégie."[page 94]
Þ La blessure d'un secret refoulé : cette femme transformée en homme par ses parents, les seuls dans le secret, et se trouvant dans l'impossibilité de le révéler, a pendant longtemps réagi avec perversité. Il ressent le besoin de faire souffrir les autres autant que ce qu'il souffre lui-même. "Je ne fais que vous obéir ; toi et mon père, vous m'avez tracé un chemin; je l'ai pris, je l'ai suivi et, par curiosité, je suis allé un peu plus loin et tu sais ce que j'ai découvert ? Tu sais ce qu'il y avait au bout de ce chemin ? Un précipice." [page 52] "Je restais profondément inconsolé, avec un visage qui n'est pas le mien, et un désir que je ne peux nommer." [page 88]